Jeudi 02 Mai

Six associations portent un recours contre l’Etat pour « ses défaillances » dans la lutte contre l’orpaillage illégal

Six associations portent un recours contre l’Etat pour « ses défaillances » dans la lutte contre l’orpaillage illégal

Six associations envisagent de déposer un recours en justice contre l’Etat et les carences de sa politique de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane. Selon les requérants, qui demandent la mise en place de mesures drastiques et d’un fonds d’indemnisation, la situation sanitaire et environnementale est « catastrophique« . 

L’Association des victimes du mercure – Haut-Maroni, Wild Legal, la Coordination des organisations des peuples autochtones de Guyane (Copag), la Jeunesse autochtone de Guyane (JAG), Maiouri Nature Guyane et Solidarité Guyane lancent ce lundi 16 octobre une action en justice contre l’État pour dénoncer ses défaillances en matière de lutte contre l’orpaillage illégal et de protection des droits humains et de la nature.

Ce collectif de requérants fait état d’une situation catastrophique tant sur le plan sanitaire qu’environnemental « en Amazonie française, et tout particulièrement sur le Haut-Maroni » et demande à l’Etat d’assumer « sa responsabilité concernant l’échec de la lutte contre l’orpaillage illégal et, urgemment, mettre fin à sa carence fautive« .

Une situation que subit la Guyane depuis le début des années 1990 et qui s’est aggravée avec la « multiplication incontrôlée de sites clandestins. On en compte plus de 500 dans toute la Guyane, et pas moins de 114 au sein du seul Parc Amazonien de Guyane en janvier 2023. Plus de 13 tonnes de mercure par an et plus de 7 000 tonnes de boue chaque jour sont déversées dans les cours d’eau de Guyane » alertent les associations requérantes dans un communiqué.

« L’orpaillage a toujours existé« , estime Michel Aloiké, le yopoto du village Taluen sur le Haut-Maroni. « Beaucoup sur l’Inini et la Waki, affluent du Tampok, dans les années 1990, puis en 2000, la fièvre de l’or a explosé. Cela avait diminué depuis quelques années mais les garimpeiros ont profité du Covid et du confinement pour revenir en masse. La préfecture dit qu’il y a moins de sites mais ce n’est pas vrai, ils sont justes plus en profondeur en forêt et moins faciles à détecter.« 

Lui aussi est favorable à ce recours par lequel les associations entendent faire reconnaître la faute de l’État, le non-respect de ses obligations en termes de « protection de la santé de ses citoyens, mais aussi de ses écosystèmes » et elles exigent « le renforcement drastique des mesures de lutte contre l’orpaillage illégal » ainsi que de protection de la santé des personnes et des écosystèmes amazoniens.

Des taux d’imprégnation au mercure trois fois supérieurs au seuil sanitaire

L’impact sur la santé de l’orpaillage illégal est au cœur du recours contentieux porté par les associations. Interdit d’utilisation depuis 2006, le mercure, qui sert à agglomérer l’or, « empoisonne toujours la vie des Amérindiens de Guyane » souligne Jean-Pierre Havard de l’association Solidarité Guyane qui a effectué des centaines de dépistages des habitants du Haut-Maroni pour étayer le recours en justice mené contre l’Etat. Et les résultats des analyses menées entre 2004 et 2014 montrent des taux d’imprégnation largement supérieurs aux seuils à ne pas dépasser fixés par l’Union européenne et la Haute autorité de santé. Le seuil limite se situe à 4,4 μg/g de cheveux chez l’adulte, 1,5 μg/g chez les enfants de moins de 6 ans et 2,5 μg/g chez les personnes enceinte. Solidarité Guyane a relevé des moyennes autour de 12 μg/g d’imprégnation capillaire chez les enfants et les adultes, avec de nombreux taux dépassant les 20 μg/g chez les adultes du Haut-Maroni, soit près de cinq fois le seuil sanitaire à ne pas dépasser.

Ces contaminations au mercure, très nocives pour la santé, sont responsables de troubles visuels et auditifs, de convulsions, de troubles mentaux et retards d’apprentissage chez les enfants nés de mères contaminées. Et d’après les associations requérantes, les campagnes de tests qu’elles ont menées en 2023 confirment la persistance de ces taux. Voilà pourquoi elles attaquent l’Etat français « qui n’a pas mis en place de solution pérenne pour garantir le droit à la santé et la sécurité alimentaire de ces populations dont la subsistance dépend traditionnellement de la nature ».

« Il faut que ça s’arrête car sinon, nous serons tous malades et contaminés. Au quotidien l’eau est très sale, elle irrite les yeux et les orpailleurs génèrent beaucoup d’insécurité sur le fleuve« , décrit Michel Aloiké. « Nous sommes face à un scandale sanitaire, qui cause un préjudice corporel et l’Etat ne fournit pas de réponse à l’éradication de l’orpaillage illégal, ni d’alternative alimentaire. Il ne garantit pas d’accès à la nourriture saine et devrait le faire pour les habitants du Haut-Maroni comme il le fait actuellement à Mayotte en distribuant de l’eau potable à la population » estime Marine Calmet de Wild Légal. « Afficher sur les dispensaires quel poisson manger ou pas ce n’est pas suffisant » appuie la juriste.

Pourtant, des pistes sont envisagées, notamment la création d’une pisciculture à Taluen pour produire du poisson non-contaminé, mais à ce jour le projet n’a pas abouti. « Il nous manque un soutien financier et surtout technique car ce n’est pas notre métier« , précise Michel Aloiké, le yopoto de Taluen. « On ne veut pas recevoir de denrées alimentaires mais des solutions pour subvenir à nos familles via des projets d’agriculture ou de pisciculture« , poursuit-il.

L’Etat a deux mois pour répondre

Pré-requis du recours en justice, une « demande préalable » va être adressée ce jour par courrier recommandé au préfet de Guyane « pour lui demander de prendre des mesures afin de lutter plus efficacement contre l’orpaillage illégal et combler les carences du respect du droit des peuples et du fleuve » précise Marine Calmet.

La préfecture a deux mois pour répondre – le silence vaut refus – et mettre en place des mesures. Passé ce délai, les associations pourront légalement saisir la justice administrative. Un recours indemnitaire du préjudice collectif et humain, tant physique que moral, est envisagé nous précise l’association Wild Legal qui est en train de chiffrer le préjudice subi par les victimes du mercure, qu’elles soient humaines ou environnementales. Car les associations veulent également faire reconnaître le préjudice subi par la nature et par extension les droits de cette dernière.

En cela, le recours envisagé est inédit et s’appuie sur une jurisprudence de 2012 dans l’affaire Erika, du nom de ce pétrolier qui a fait naufrage au large de la Bretagne en 1999 et causé une marée noire. La Cour de cassation avait alors reconnu pour la première fois l’existence d’un « préjudice écologique » causé par la multinationale pétrolière Total au littoral breton du fait de la pollution subie par cet écosystème victime de la marée noire. Elle avait ainsi poussé le législateur à consacrer cette réalité dans le Code civil. « Ce que nous souhaitons aujourd’hui c’est aller plus loin et que la justice reconnaisse les droits de la nature. Si la nature peut subir un préjudice, c’est qu’elle peut avoir des droits » synthétise la juriste Marine Calmet.

Un précédent judiciaire en Colombie, dans l’affaire du fleuve Atrato reconnu en 2016 comme sujet de droit fondamental par la Cour suprême dans le cadre d’un recours contre la carence de l’Etat dans la lutte contre les activités minières clandestines, appuie le raisonnement des associations requérantes. Cette « situation similaire à la Guyane » selon Marine Calmet pousse la juriste à croire que la justice française pourrait reconnaître le préjudice subi par la nature.

Photo de Une : pollution de l’Inini en 2015 liée à l’orpaillage illégal © Archives Guyaweb

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7 commentaires

  • Frog

    On se reveille, c’est bien. Et d’ ailleurs ou sont les hurleurs ? Auraient ils finalement compris quelque chose qui les auraient rendus aphone ?
    L’orpaillage illégale perdure grâce à la résistance d’élus véreux ne souhaitant pas que cela cesse…sur le Maroni mais pas que…

  • Frog

    …ces derniers étant un peut dépassés par le désir « d’autonomie » de leurs employés brésiliens, je vous le concède.

  • Bello973

    Ah bon? Tu m’étonnes que notre armée française ait été récemment rétrogradée au neuvième rang mondial, si la « résistance d’élus véreux » suffit à la faire échouer et donc à la ridiculiser depuis trente ans, sur le terrain de la lutte contre l’orpaillage clandestin. Donc, selon toi Frog, Chanel et Daniel grands pourfendeurs des opérations Anaconda et Harpie? A quoi ça tient, la faillite du pouvoir régalien, hein? Mais c’est pas très sympa de foutre ainsi la honte à nos forces armées… Il serait bien plus charitable de considérer que nos militaires n’ont sans doute pas bénéficié de suffisamment de moyens.

  • Frog

    Les FAG savent justement de quoi je parle, raison pour la quelle ils n’ont justement pas les moyens.

  • Bello973

    Des élus véreux qui freineraient le vote et l’attribution des moyens nécessaires aux militaires? Ah, bon, tu ne veux donc pas parler d’élus locaux… Et pour avoir un tel pouvoir, il graviteraient forcément dans les ministères. Ça sonne un peu théorie du complot ton affaire.

  • Bello973

    Bingo! J’ai trouvé… Un ancien ministre du budget véreux (condamné par la justice) ayant vécu un temps à Camopi, où il a certainement eu l’occasion de s’acoquiner avec quelques garimpeiros illégaux sévissant aux alentours. Et je parie qu’il a encore toutes ses entrées à Bercy pour torpiller le budget et les moyens des fag. J’ai bon Frog? C’est tout à fait crédible, tu as raison… Incroyable! Ah oui! En effet, c’est trop bon! Oulalalalala… Ça donne trop le frisson…Une fois qu’on a gouté à ce petit plaisir du sous-entendu complotiste gouleyant, bien au chaud sur le canapé caché derrière un écran. Comment diable y renoncer.

  • Jo

    Ce sont les mêmes associations qui ont empêchés
    L’installation d’orpailleur legaux , qui même pour les moins méticuleux, sont 50 fois moins polluants et socialement plus utiles.

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