Mardi 10 Decembre

La Nouvelle-Calédonie toujours sous haute tension

La Nouvelle-Calédonie toujours sous haute tension

Eclipsée par la séquence politique de la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives anticipées, la situation de l’archipel français du Pacifique n’en demeure pas moins très tendue. Un regain de violences a été observé suite aux coups de filet policiers effectués fin juin dans les milieux indépendantistes et l’envoi de cinq prisonniers politiques dans l’Hexagone, dont Christian Tein, le chef de file de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT). Depuis, le dialogue entre indépendantistes et non-indépendantistes semble à l’arrêt, alors que la reconstruction du Grand Nouméa devient urgente. 

Des mesures de confinement rappelant la période de la crise du Covid-19. Ce lundi 22 juillet, le couvre-feu en vigueur en Nouvelle-Calédonie a été légèrement allégé de deux heures par le Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, l’équivalent de la préfecture, dans un esprit de « retour progressif à la vie normale« ….

Désormais, les habitants de l’archipel sont soumis à une interdiction de circulation de 21h à 5h et non plus de 20h à 6h. La vente d’alcool dans les magasins tout comme la détention et le transport d’armes restent interdites, mais les activités reprennent petit à petit.

Signe d’une désescalade de la violence, des établissements scolaires rouvrent progressivement dans le Grand Nouméa, ainsi que d’autres services publics selon Nouvelle-Calédonie la 1ère, deux mois après les émeutes qui ont secoué l’archipel du Pacifique et en particulier la ville-capitale, conduisant l’Etat à décréter 12 jours d’état d’urgence. Néanmoins, cet apaisement sur le terrain et la levée des barrages ne masquent pas les antagonismes toujours vifs entre indépendantistes et non-indépendantistes et il reste précaire.

Bien que la réforme du corps électoral, le projet de loi à l’origine de la contestation déclenchée le 13 mai, ait été suspendue mi-juin par le chef de l’Etat, trois jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, la tension politique reste vive sur l’archipel. La séquence des législatives a quelque peu éclipsé la crise néo-calédonienne dans les médias français. Pourtant, un nouveau mort a été recensé le 10 juillet, tué lors d’affrontements avec les forces de l’ordre. Ce décès porte le bilan humain des émeutes à dix morts : 8 manifestants et 2 gendarmes.

Le déplacement éclair d’Emmanuel Macron dans l’archipel le 24 mai afin d’installer une « mission de dialogue » conduite par trois hauts fonctionnaires – déjà rentrés dans l’Hexagone depuis plusieurs semaines – avait été suivi d’un retour au calme très relatif. Mais un regain de tensions a été observé fin juin. Il est lié à une série d’arrestations de militants indépendantistes et notamment de Christian Tein, chef de file de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT, une organisation indépendantiste), arrêté avec dix autres personnes. Ils sont soupçonnés par les autorités françaises d’avoir orchestré les émeutes contre la réforme électorale. Cinq d’entre eux, dont Christian Tein, ont été incarcérés dans l’Hexagone, à des milliers de kilomètres de leurs proches qui voient en eux des prisonniers politiques. Ces « extraditions » ne concourent pas à l’apaisement des tensions entre indépendantistes et loyalistes.

La réforme du corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, accusée par les indépendantistes de marginaliser le poids de la population autochtone kanak, a déclenché le 13 mai dernier un mouvement de révolte d’ampleur dans le territoire, causant la mort de dix personnes et faisant des centaines de blessés © DR

« Des antagonismes encore indépassables »

La séquence des élections législatives anticipées a également compliqué la difficile reprise du dialogue après un mouvement de révolte d’une rare violence, inédit depuis la quasi-guerre civile des années 1980. Ces élections ont polarisé les antagonismes entre indépendantistes et non-indépendantistes.

En effet, le député sortant loyaliste* modéré Philippe Dunoyer, qui avait appelé au retrait de la réforme électorale et incarne une politique de dialogue, a été battu dès le premier tour dans la 1ère circonscription au profit du loyaliste radical Nicolas Metzdorf (« Ensemble pour la République »), député sortant de la 2de circonscription, qui incarne une ligne dure favorable au dégel du corps électoral. Pour rappel, lors de la précédente mandature, Nicolas Metzdorf avait été nommé rapporteur du projet de réforme constitutionnelle du corps électoral provincial.

Dans la 2de circonscription, c’est l’indépendantiste Emmanuel Tjibaou, fils du leader kanak Jean-Marie Tjibaou assassiné en 1989, qui a été envoyé à l’Assemblée nationale par les électeurs, sans avoir eu jusqu’alors d’expérience en politique en tant qu’élu. Il devient ainsi le premier indépendantiste kanak à siéger à l’Assemblée nationale depuis trente-huit ans. Un symbole fort, mais son élection est contestée par au moins cinq recours déposés devant le Conseil constitutionnel, notamment par l’association « Le Rassemblement pour la Nouvelle-Calédonie dans la République », la fédération locale du Rassemblement national.

Une délégation du FLKNS a participé les 17 et 18 juillet à un congrès anticolonialiste organisé par l’Azerbaïdjan © Groupe d’initiative de Bakou

En 2017, le parti « Calédonie Ensemble » de Philippe Dunoyer avait remporté les deux sièges de députés de la Nouvelle-Calédonie, puis un seul en 2022. La non-réélection de ce dernier témoigne d’une situation à couteaux tirés où deux blocs s’opposent et semblent parfois irréconciliables. C’est en tout cas le sens de la déclaration de la cheffe de file des loyalistes radicaux Sonia Backès, présidente de la province Sud de Nouvelle-Calédonie.

Le 14 juillet, sur les réseaux sociaux, elle a plaidé pour une séparation des provinces, jugeant que le « destin commun« , objectif de l’Accord de Nouméa signé en 1998, « a échoué« . Sonia Backès prône « l’autonomisation » des provinces de Nouvelle-Calédonie, en « entités distinctes, mais complémentaires ». Car l’ex-secrétaire d’État à la Citoyenneté (2022-2023) auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin constate « des antagonismes encore indépassables ». Une telle option acterait la séparation entre Kanak et Calédoniens d’origine européenne sur l’archipel. La Nouvelle-Calédonie est en effet divisée en trois provinces, la plus importante en termes de richesses et de population étant la province Sud, dirigée par les loyalistes. La province Nord et la province des Îles sont gouvernées par les indépendantistes.

Les réactions à cette proposition ont été vives, notamment de la part des indépendantistes de la CCAT qui accusent « les pompiers pyromanes pro colonialistes de l’extrême droite locale d’attiser le feu et de menacer le vivre-ensemble même au bord de l’effondrement de notre pays« . « La présidente de la province Sud a franchi un palier en voulant à présent séparer les communautés, en totale rupture avec l’esprit de l’Accord de Nouméa dont l’objectif est le destin commun » ont-ils écrit dans un communiqué daté du 24 juillet.

Quelques jours plus tôt, une délégation du FLNKS – Front de libération nationale kanak socialiste, qui regroupe la plupart des partis indépendantistes – et plusieurs membres fondateurs de la CCAT s’étaient rendus à Bakou en Azerbaïdjan où ils ont participé les 17 et 18 juillet à un « Congrès des mouvements d’indépendance des territoires colonisés par la France », le Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES) de la Guyane y étant également représenté.

Les participants ont lancé un « Front international de libération des colonies françaises » et se sont engagés à une organisation et à une coordination plus étroites de leurs activités. Ils ont annoncé leur volonté d’établir une « stratégie globale pour l’élimination du colonialisme », avec « un plan d’action et un programme qui seront présentés aux organisations internationales ». Selon certains analystes, il y a là matière à attiser les tensions en jouant le jeu de Bakou qui cherche à déstabiliser Paris en utilisant les velléités indépendantistes des territoires ultramarins français.

L’économie à genoux

C’est dans ce contexte que de nouvelles violences symboliques ont eu lieu ces derniers jours en Nouvelle-Calédonie. Dans la nuit du dimanche 21 juillet au lundi 22, le mausolée du grand chef kanak Ataï a été vandalisé. Le crâne de cet homme, décapité au cours de la révolte kanak de 1878, devenu au fil du temps le symbole de la résistance autochtone à la colonisation, a été dérobé, ainsi que celui de son sorcier.

Une semaine plus tôt, deux églises et un presbytère catholiques avaient été pris pour cible. D’abord, le 16 juillet, un incendie volontaire a entièrement détruit l’église de la mission de Saint-Louis, berceau du catholicisme dans l’archipel. Puis, dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 juillet, l’église de Vao, sur l’île des Pins, a été ravagée en partie par les flammes. Des actes unanimement et vivement condamnés, notamment par le Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, équivalent sur place de la préfecture.

Suite à ces profanations qui font craindre une reprise des émeutes, les parlementaires indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, le député Emmanuel Tjibaou et le sénateur Robert Xowie, ont appelé mardi 23 juillet à la reprise du dialogue pour dénouer la crise politique qui secoue l’archipel français du Pacifique depuis plus de deux mois. « On ne peut pas reconstruire le pays tant que les discussions ne seront pas faites » a assuré Robert Xowie lors d’une conférence de presse.

Or les discussions entre les deux blocs et avec l’État, censé être impartial, semblent au point mort. La ministre déléguée aux Outre-mer auprès du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, démissionnaire comme l’ensemble de ses collègues du gouvernement français, doit retourner en Nouvelle-Calédonie, du 31 juillet au 2 août, pour « répondre à la crise que connaît l’archipel depuis plusieurs semaines » d’après un communiqué du ministère. Marie Guévenoux tentera de rassembler les différentes parties autour de la même table et de relancer le dialogue, alors que la reconstruction du Grand Nouméa se fait pressante.

Du fait des émeutes, selon une estimation du gouvernement local, la crise politique a causé au moins 2,2 milliards d’euros de dégâts. Un emploi sur quatre a disparu à la suite de la destruction de nombreux supermarchés, commerces et locaux d’entreprises. L’économie est à genoux et l’archipel risque de se retrouver sans recettes fiscales : les pertes sont en effet estimées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie à 30 milliards de francs Pacifique soit plus de 251 millions d’euros.

De plus, la direction de l’usine de nickel KNS, l’une des trois implantées en Nouvelle-Calédonie, a annoncé le licenciement ce vendredi de ses 1 200 salariés pour la fin du mois d’août. Avec une dette de 13,5 milliards d’euros, KNS était à la recherche d’un repreneur depuis le départ en février du groupe anglo-suisse Glencore, son actionnaire principal. 500 sous-traitants sont également concernés par cette faillite.

Dans cette période trouble, l’État soutient financièrement le territoire et il a octroyé une aide de 12 milliards de francs Pacifique, soit environ 108 millions d’euros, à rembourser avant mars 2025. Par ailleurs, Paris a annoncé le 18 juillet élargir et renforcer l’aide mise en place initialement en faveur des entreprises de Nouvelle-Calédonie pour les mois de mai et juin 2024. Une prolongation de la période d’éligibilité et un relèvement du plafond d’aide à 10 000 euros pour l’aide de solidarité nationale pour les TPE-PME sont ainsi instaurés. Tout comme une extension de la période prise en compte par la commission consultative chargée d’étudier des demandes d’aide financière formulées par les entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques de la crise en Nouvelle-Calédonie. Des mesures toutefois considérées comme notoirement insuffisantes par toutes les parties calédoniennes.

L’enjeu de la reconstruction est de taille, car « si on ne répond pas aux problématiques de la crise économique, on risque de se retrouver dans une crise humanitaire, où le politique n’aura plus sa place » a averti le député Emmanuel Tjibaou, mardi en conférence de presse.

Photo de Une : malgré un retour au calme progressif, les tensions politiques restent vives en Nouvelle-Calédonie et le dialogue entre loyalistes et indépendantistes est loin d’être rétabli © Julien Sartre / archives Guyaweb

Retrouvez tous nos articles consacrés à la crise politique en Nouvelle-Calédonie 

* Le terme « loyaliste » désigne les partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République française.

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1 commentaires

  • Bello973

    Tiens, bizarrement les autochtones de Nouvelle-Calédonie semblent donc détester tout autant cette vision loyaliste d’une autonomisation des provinces…Et la dernière fois que l’Etat a donné raison aux loyalistes récemment, en faisant adopter le dégel du corps électoral, ça lui a coûté une reculade, des émeutes et désormais une crise économique sur les bras. Entêtement à suivre les boutefeux et à occulter la réalité de la cause autochtone indépendantiste, en Nouvelle Calédonie? Ça ne va sans doute pas être si simple de faire passer les Kanaks pour des racistes anti-blancs, selon Backès et Metzdorf, afin d’ériger une sorte de protectorat loyaliste dans la province sud.

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