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1555 personnes en situation irrégulière placées en rétention administrative en 2024

1555 personnes en situation irrégulière placées en rétention administrative en 2024

Le bilan annuel de l’association la Cimade, intervenante au Centre de rétention administrative de Matoury, fait part d’une augmentation en 2024 du nombre de personnes retenues en vue de leur éloignement de Guyane. Selon l’association, de nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge des demandes d’asile par les services de l’Etat sont en partie responsables de ce nombre croissant de placements en rétention administrative. Près de 60% des personnes retenues ont été expulsées l’an dernier.

Selon le bilan annuel de la Cimade, l’une des cinq associations à intervenir en Centre de rétention administrative (CRA)* en France, 1555 placements en rétention administrative ont eu lieu en 2024 en Guyane. Ces chiffres, rendus publics ce mardi 29 avril, placent le CRA de Matoury en 4e position des centres qui enferment le plus de personnes en situation irrégulière. Seuls les CRA de Mesnil-Amelot et Paris-Vincennes en région parisienne (2000 rétentions chacun) et celui de Pamandzi à Mayotte – où 22 324 personnes ont été retenues en 2024 – devancent en activité le centre de rétention de la Guyane. Au total, sur l’année 2024, 16 228 personnes ont été retenues dans l’Hexagone et 24 364 en Outre-mer.

En Guyane, les placements sont en hausse croissante depuis trois ans. En 2023, 1421 personnes en situation administrative irrégulière avaient été placées au CRA de Matoury. Un chiffre déjà en augmentation par rapport à l’année 2022 qui avait elle aussi connu un rebond des enfermements après deux années de décrue dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

Une nouvelle fois, les nationalités des pays voisins (Brésil, Suriname, Guyana) sont surreprésentées au sein du CRA de Matoury où 241 ressortissants haïtiens et 170 dominicains ont également été placés en 2024. La majorité de ces personnes (58,6%) a été interpellée aux frontières de la Guyane qu’elles tentaient de franchir, ou suite à un contrôle policier sur la voie publique. Le régime dérogatoire instauré par une loi de 1990 dans certains territoires ultramarins (Guyane, Guadeloupe, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Barthélémy) permet en effet aux forces de l’ordre d’effectuer des contrôles sur la voie publique – en Guyane sur une bande de 20 km depuis le littoral, soit la Guyane routière – sans réquisition préalable du procureur.

Contrairement à 2023 où 33,3% des retenus avaient été expulsés de Guyane, l’an passé a été marqué par un taux d’éloignement important, atteignant 58,1% soit 893 personnes. Dans la majorité des cas (59,9%), ces personnes étrangères en situation irrégulière ont été expulsées très rapidement, dans les 48h suivant leur placement en rétention. Près d’un tiers l’a été entre 3 et 10 jours et une seule personne est allée au bout du délai légal d’enfermement de 90 jours.

Ces placements et expulsions éclairs contrastent avec la durée moyenne d’enfermement au national qui est de 33 jours. Cette différence s’explique par le régime dérogatoire mis en place dans plusieurs  territoires ultramarins (Guyane, Guadeloupe, Mayotte, Saint-Martin et Saint-Barthélémy) pour contrer une pression migratoire qui y serait plus importante. Ce régime juridique spécifique permet à l’administration d’éloigner des personnes sans saisine du juge, sans réception de la décision du juge et sans vérifier la légalité de l’éloignement. Il supprime par ailleurs presque l’intégralité des recours suspensifs existants. Un seul recours, en référé-liberté devant le tribunal administratif, peut en Guyane suspendre l’éloignement.

La Cimade déplore par ailleurs dans son rapport deux expulsions vers Haïti, alors que l’Etat caribéen connaît une situation de violence généralisée, « reconnue tant par les institutions internationales telles que l’ONU et la CEDH, que nationalement par la CNDA » souligne l’association. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a en effet assoupli les conditions d’octroi de la protection subsidiaire envers les ressortissants haïtiens. La « préfecture persiste pourtant à enfermer des Haïtiens·nes, au mépris des conventions internationales » déplore la Cimade.

Explosion des demandes d’asile en 2024

Ce n’est pas la seule critique adressée aux services de l’Etat par l’association qui effectue notamment au CRA un travail d’assistance juridique des personnes retenues. Selon la Cimade, de nombreux « dysfonctionnements systémiques de la préfecture en matière d’asile » sont relevés en Guyane. 

« L’impossibilité pour les personnes d’introduire leur demande d’asile dans un délai raisonnable auprès des services compétents a des conséquences graves » souligne l’association, qui indique que les rendez-vous au Guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA) géré par la préfecture et permettant l’enregistrement des demandes d’asile ont été donnés « au compte-goutte » en 2024. Ce guichet a même dû fermer plusieurs semaines à cause d’une suspicion de présence d’amiante dans le bâtiment Vignon de la préfecture.

Cette « incapacité des services de l’État à mettre en œuvre des conditions permettant aux personnes d’effectivement déposer leurs demandes d’asile et d’accéder aux droits y afférents (délivrance d’une attestation, accès aux conditions matérielles d’accueil, etc.) » aurait des conséquences directes sur le placement en rétention de personnes ayant effectué une demande d’asile. Ainsi, en quelques mois, « plus d’une dizaine de personnes en demande d’asile, ou ayant tenté de solliciter l’asile sans succès, ont été enfermées au CRA« .

Selon la Cimade, le délai d’attente pour voir sa demande de protection enregistrée au GUDA peut s’élever « à plusieurs mois, voire années, alors que le délai légal est de trois à dix jours ouvrés« . Ces difficultés ne sont pas récentes, mais ont été accentuées par une explosion des demandes d’asile en 2024 en Guyane.

Selon des données de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), la Guyane est le territoire ultramarin qui a connu la plus forte augmentation « avec près de 8 700 demandes introduites au total (+36 % par rapport à 2023)« , émanant très majoritairement de ressortissants haïtiens (84% du total des demandes). Dans son bilan 2024 du dispositif national d’accueil, la Cimade pointe une file active de 16 865 demandes en Guyane. La Croix-Rouge, chargée du Service de premier accueil des demandeurs d’asile en Guyane, évoquait en novembre sur Guyane La 1ère plus de 20 000 demandes d’asile en 2024, contre « 6900 personnes primo demandeurs d’asile » en 2023, soit un triplement des demandes l’an passé.

Pour autant, la Guyane n’est toujours pas dotée d’un Schéma régional d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (Sradar), un document pourtant imposé par la loi suite à l’extension de son instauration aux Outre-mer en 2021 par une décision du Conseil d’Etat. Cette décision n’est toujours pas appliquée en Guyane, ce qui ne semblait pas déranger plus que cela l’ancien ministre des Outre-mer Jean-François Carenco (voir Guyaweb du 16/05/23). Ce devrait être corrigé dans les prochains mois, le préfet Antoine Poussier ayant lancé en février les premiers ateliers de concertation pour élaborer le Sradar, dans le but « d’améliorer la prise en charge et l’intégration des demandeurs d’asile et réfugiés en Guyane« .

La Cimade souhaiterait quant à elle que les situations familiales des demandeurs d’asile et des personnes en situation irrégulière soient mieux prises en compte afin d’éviter l’enfermement de personnes parentes d’enfants français, de personnes vivant sur le territoire depuis plus de 20 ans, ou d’autres arrivées mineures et scolarisées depuis. L’examen de la situation individuelle étant selon la loi « un préalable obligatoire à toute décision d’éloignement et de placement en rétention administrative » rappelle l’association.

Or, d’après la Cimade, en 2024 « la préfecture de Guyane s’est illustrée en tentant d’expulser des personnes sans considération de leur situation familiale, de leur état de santé, de leur situation administrative, du risque pour leur intégrité physique ou même de leur nationalité – voire de leur absence de nationalité« . Le fait le plus marquant reste le placement en rétention administrative et la tentative d’expulsion vers le Brésil d’un ressortissant français, un raté de l’administration relayé par Guyaweb en octobre dernier.

Par ailleurs, 22 personnes ont été libérées du CRA en 2024 par le juge administratif, qui a considéré que leur éloignement portait une atteinte manifestement illégale à leur droit de mener une vie privée et familiale normale.

Politiques migratoires répressives 

Cette non-prise en compte des situations familiales des personnes en situation irrégulière est une conséquence directe selon la Cimade de la loi Asile et Immigration votée en janvier 2024. Cette dernière, durcissant les règles en matières d’asile, a supprimé les protections contre l’éloignement dont bénéficiaient certaines personnes du fait, notamment, de leur état de santé ou de l’intensité de leurs liens familiaux sur le territoire français. « Elle a sacralisé l’utilisation de la notion de « menace pour l’ordre public » comme critère central pour justifier les décisions de placement et de prolongation de la rétention, en dépit de son caractère flou et discrétionnaire » critique la Cimade, pour qui « les décisions administratives d’expulsion et de placement en rétention prennent de moins en moins en compte la situation individuelle des personnes concernées« .

Ce durcissement s’inscrit dans une ligne politique répressive et une droitisation du débat politique, incarnée par la prédominance de l’extrême droite à l’Assemblée nationale où le Rassemblement National est le groupe parlementaire le plus important. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé en 2023 l’ouverture de 3 000 places de rétention supplémentaires à l’horizon 2027. Le très à droite ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, nommé fin 2024 place Beauvau, a également annoncé vouloir proposer un nouvel allongement de la durée maximale de rétention en la portant à 210 jours contre 90 actuellement, via un projet de loi d’ores et déjà adopté en première lecture par le Sénat.

« Cette politique du tout rétention a pourtant un coût très élevé » rappelle la Cimade, estimé en 2024 par la Cour des Comptes à 602 euros par jour et par personne retenue.

Dans ce projet de loi, le gouvernement vise aussi à remplacer la Cimade et les autres associations intervenant en CRA par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans le rôle d’information sur leurs droits des personnes retenues. Dans un communiqué commun, la Cimade, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarité, Solidarité Mayotte et le Forum Réfugiés dénoncent cette menace contre le rôle « de vigie et de contre-pouvoir exercé par nos associations » qui seraient remplacées par un « organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur ».

Les cinq associations appellent les parlementaires « à ne pas franchir une ligne rouge : celle qui sépare une démocratie respectueuse de ses principes d’un système où le respect des droits fondamentaux devient une variable d’ajustement. Maintenir une assistance juridique indépendante en CRA, ce n’est pas défendre un intérêt sectoriel. C’est défendre l’Etat de droit, la transparence et la dignité dans un domaine où ils sont trop souvent mis à mal« . 

Photo de Une : le Centre de rétention administrative de Matoury, géré par la police aux frontières, a été créé en 1995 mais a été déclassé en local de rétention administrative (LRA) en mars 2007, avant de redevenir un CRA en mai 2008 © Archives Guyaweb

*Un Centre de rétention administrative (CRA) est un lieu d’enfermement dans lequel l’administration place des personnes étrangères pour mettre en œuvre leur éloignement. À la différence d’une prison, celles-ci n’y sont pas enfermées pour des crimes ou des délits, mais pour la simple raison qu’elles se trouvent sur le territoire en situation irrégulière et que l’administration souhaite mettre en œuvre leur expulsion. 

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1 commentaires

  • Bello973

    La Guyane et les outremers comme laboratoires de la mise en application de la droitisation et de l’extrême-droitisation de la gestion gouvernementale du droit d’asile et de l’accueil des migrants…Et ça passe crème. La mithridatisation ou l’injection progressive du poison, commence en effet souvent par les organes périphériques.

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